• 21 décembre 2024

Les défis de l'enseignement pendant la crise du coronavirus - part II

En route vers la Belgique. État fédéral dans lequel l’enseignement est la prérogative des entités fédérées, et qui a eu un débat visant la scolarité pendant le confinement. La Flandre a opté plutôt pour un enseignement à distance, y compris en ligne, comprenant la matière nouvelle prévue par le programme, pendant que la Wallonie a préféré une approche plus permissive, insistant surtout sur les révisions, en prenant en compte les inégalités en ce qui concerne l’accès aux outils informatiques et le degré de l’éducation numérique des apprenants et des enseignants. Les autorités de la Fédération Wallonie-Bruxelles annoncent que les établissements scolaires ne sont pas fermés pendant la crise, mais que, dans la mesure du possible, les modules de cours sont organisés à distance et les activités d’apprentissage à distance remplacent les activités d’apprentissage en présentiel qui sont suspendues. Les modalités de l’organisation des cours à distance sont laissées à l’appréciation des équipes éducatives. Les circulaires ministérielles précisent, dans le contexte, que si l’enseignant recourt à des modalités d’apprentissage en ligne, il doit s’assurer que chaque élève du groupe-classe dispose du matériel et du soutien pour s’y consacrer dans des conditions optimales. En absence d’une plate-forme aussi grande comme en France, la Fédération Wallonie-Bruxelles dispose néanmoins d’une solution de e-learning avec «des modules de cours en ligne interactifs pour se préparer aux épreuves certificatives de niveaux primaire et secondaire».

Corinne Lalière, enseignante et mère d’une fille de 12 ans, élève en première année de l’enseignement secondaire en Fédération Wallonie – Bruxelles, parle de sa double expérience en disant que sa fille fait ses études «dans une école un peu particulière, parce que tous les élèves ont un IPad à eux, fourni par l’école. C’est une école pilote dans le travail numérique. Donc elle a du travail régulièrement. Mais ça ne se déroule pas de la même façon selon les cours. En math, par exemple, ce sont des vidéo-conférences avec toute la classe à ses heures de cours habituelles ; en français, elle reçoit des cours et des questionnaires en ligne avec corrections automatiques, mais ce sont des révisions ; en néerlandais, en géographie, elle a une liste de travaux à faire et les profs envoient les corrections le lendemain ; en sciences ils voient même de nouvelles matières : des capsules vidéo avec des questionnaires et des séances de questions-réponses une fois par semaine. Ça demande à peu près 4 à 5 heures de travail par jour.
... La plupart du temps elle se débrouille toute seule, elle avait déjà l’habitude du travail numérique depuis le début de l’année. Il faut quand même être derrière pour qu’elle essaie de garder de la motivation. On lui redonne le moral quand elle en a assez ou qu’elle ne comprend pas pourquoi elle doit travailler autant. C’est une expérience utile, ça lui donne un rythme, mais fort lourd sur la longueur. Elle commence à perdre le lien social et donc l’intérêt. C’est trop froid de n’être en contact que par courriel. Les vidéos-conférences en math semblent la motiver beaucoup plus
», croit sa mère Corinne.
Corinne est aussi professeure de français à Charleroi pour les élèves de la 4e année du secondaire. Si, avec les études de sa fille les choses vont d’une manière acceptable, son expérience en tant qu’enseignante est un peu différente. «Nous n’étions pas prêts dans notre école, raconte CorinneOn ne savait pas de quel matériel disposaient les élèves ; le 13 mars on a couru partout pour essayer d’avoir des adresses courriel d’élèves (et on a vraiment eu du mal pour les élèves qui étaient déjà absents) ; les consignes n’ont jamais été très claires quant au travail en ligne (obligatoire ou pas, avec correction ou pas), etc. On savait juste qu’on ne pouvait pas donner de nouvelles matières. Résultat ? J’ai 1/3 des élèves qui répondent régulièrement, 1/3 qui répondent occasionnellement et 1/3 dont on n’a aucune nouvelle. Certains disent ne pas avoir reçu telles ou telles consignes. On a du mal à gérer avec les distances. Les décrochages scolaires se multiplient. Et plus on avance, pire c’est. Je suis obligée de dire à certains élèves que le travail compte (même si ce n’est pas vrai) parce que sinon ils ne trouvent pas la motivation. Et puis on a des élèves dont le moral est vraiment à zéro. On essaie de les remonter comme on peut. Ce n’est pas facile».

Restons en Belgique pour le témoignage de Luca Copetti, enseignant d’anglais et néerlandais à l’IHECS (Institut des Hautes Études des Communications Sociales), et père de trois enfants qui suivent leurs études à distance, dans l’enseignement flamand. Si avant Pâques les interactions avec les professeurs étaient plutôt sporadiques, après les vacances les choses ont changé. Les trois enfants, de 8, 11 et 13 ans ont des conférences Zoom tous les jours, entre 30 et 40 minutes. Ils travaillent au moins 2 heures par jour. Pour les grands, l’administration de l’école a installé un Cloud, et les élèves ont accès aux travaux qu’ils doivent réaliser et télécharger etc. Pour les plus petits – un site sécurisé est accessible, où les profs mettent en ligne des dessins, des chansons, etc. à l’attention des élèves. «Ça pose beaucoup de problèmes pour la gestion des enfants, dit LucaNous, les parents, on a un deuxième temps plein : on les suit, on leur met la pression, etc. Certains enfants des familles plus défavorisées ne sont pas présents en ligne, il y a des parents qui ne sont pas éduqués aux outils informatiques. C’est sans doute dans un but égalitariste que la Fédération Wallonie Bruxelles a décidé de ne pas avoir de nouvelles matières, pour que personne ne soit défavorisé, mais la Flandre, qui est plus entrepreneuriale ne trouve aucun problème à continuer l’enseignement comme cela. Maintenant, que le déconfinement a commencé, et beaucoup de parents recommencent leur travail, ça va être une catastrophe pour les enfants qui n’ont pas la maturité de s’organiser pour les cours en ligne. En termes d’égalitarisme des élèves, toute cette approche numérique est très élitiste», conclut Luca.

En tant qu’enseignant il détaille : «On a Microsoft Teams et ça se passe bien pour une série de profs qui sont facilement rentrés dedans, qui ont compris comment ça fonctionnait, mais il y a d’autres profs qui y sont réticents. Je ne suis pas du tout convaincu de l’opportunité pédagogique d’utiliser ça : les étudiants les plus timides en classe deviennent encore plus timides en ligne, les caméras sont éteintes, les micros aussi, je ne peux pas les entendre, ce n’est pas facile. En ce qui concerne les examens, il y a beaucoup de profs qui ont laissé tomber la partie écrite des examens et n’ont gardé que la partie orale. Nous, pour les premières années, pour l’anglais, on a décidé de conserver l’écrit, qui se passera via un logiciel français qui s’appelle Testwe, qui prend des photos régulièrement des étudiants face à leurs caméras. Ça pose des questions vis-à-vis du respect de la vie privée. L’ULB (Université Libre de Bruxelles), par exemple a décidé de ne pas utiliser ce logiciel pour ces raisons – là, et alors ils font signer aux étudiants une déclaration sur honneur qui les engage à faire l’examen seuls... je n’y crois pas une seconde ! Les examens oraux organisés comme cela augmentent certainement le niveau de stress et d’angoisse des étudiants, et nous non plus nous ne sommes pas très à l’aise avec ça, et on ne peut pas garantir qu’on évite absolument la triche, parce qu’ils regardent la caméra, mais rien ne les empêche simultanément d’avoir à l’écran leur cours ou Wikipédia. Alors, du point de vue du prof, on se sent très seul, parce que tu ne vois que 4 visages qui peuvent apparaître simultanément sur l’écran. Souvent, tu donnes cours, tu poses une question, et personne ne réagit. Tu n’as pas cette espèce de manipulation que tu peux faire en classe, et ça reste sans conséquence. J’espère que ça ne va trop se prolonger, parce que si l’année prochaine commence “en distanciel”, surtout avec les étudiants en première année, du point de vue pédagogique ça ne va pas donner grand-chose. C’est vrai que les équipes informatiques ont fourni un travail exceptionnel en nous expliquant comment ça fonctionnait, mais ce n’est pas facile. En même temps, il y a des profs, apparemment, qui ont complètement abandonné leurs étudiants, qui ont posté le PowerPoint ou une liste de sources pour la lecture. Évidemment, les étudiants sont très fâchés dans ces cas».

Poursuivant les idées exprimées par Luca, donnons la parole à Anastasia Florea, étudiante en deuxième année à la Faculté de Journalisme et Sciences de la Communication de l’Université d’État de Moldavie. Le hasard a fait qu’elle se trouve à Bruxelles dans cette période, grâce à une bourse Erasmus+. Sa mobilité à l’IHECS se déroule, ainsi, en confinement. La jeune femme a eu la possibilité de revenir en Moldavie, comme l’ont fait les autres participantes moldaves au programme, mais Anastasia a décidé de rester dans la capitale belge et suivre les cours en ligne. «Avec la mise en place du régime de quarantaine, nous faisons tous les cours en ligne, y compris les cours pratiques, explique l’étudiante. L’administration de l’université nous a proposé de rentrer chez nous, et de nombreux étudiants l’ont fait avant la fermeture des frontières. Je suis restée ici en espérant que cette pandémie passera le plus vite possible et que nous retournerions à l’université pour reprendre les cours normalement. Malheureusement, le programme est en train de se terminer, mais on est toujours en confinement. Les cours sont organisés sur la plate-forme Microsoft Teams, selon le calendrier académique. Nous avons le soutien et l’encouragement des enseignants et des responsables des mobilités internationales. L’IHECS nous a donné accès libre à plusieurs applications comme Adobe Photoshop, Premiere pro, etc. Les examens se dérouleront, eux aussi, à distance, sous une forme choisie par chaque enseignant. En même temps, on n’a pas renoncé aux présentations de la fin du semestre, on les fait en ligne devant les collègues, comme si on était à l’Université, en bénéficiant de la réaction du professeur. Pour certains cours, nous avons trouvé des alternatives. Par exemple, pour le cours de vidéo, la professeure nous a permis de filmer avec le smartphone personnel. Après tout ce temps d’étude en ligne, j’ai réalisé que c’était beaucoup mieux à l’Université. C’est plus intéressant, on voit les collègues, on communique, on rigole ensemble… l’Université me manque. Même si c’est une période un peu compliquée et extraordinaire, je suis extrêmement heureuse d’avoir eu l’opportunité de me lancer dans une telle aventure. Finalement, la vie commence là où on sort de sa zone de confort », croient la jeunesse et l’optimisme d’Anastasia.

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