• 6 décembre 2024

MOLDAVIE Une transition sans boussole

  Qui suis-je? Où vais-je? Dans quel état j’erre? Si la situation n’était pas aussi grave, on pourrait appliquer cette plaisanterie, rendue célébre en France par Coluche, à la Moldavie, pays dit «en transition». La première dé- finition que donne le dictionnaire du mot transition — «passage graduel d’un état à un autre, état intermédiaire» — est sans conteste celle qui convient le mieux à la Moldavie. Le pays se trouve en effet dans cet état «intermédiaire» depuis que son indépendance a été proclamée, il y a 25 ans, à la suite de l’éclatement de l’Union soviétique. Un quart de siècle plus tard, les Moldaves savent d’où il sont partis mais toujours pas où ils vont.

  Située entre la Roumanie à l’ouest et l’Ukraine à l’est, la Moldavie se trouve au carrefour de deux mondes: le slave et le latin, mais aussi coincée entre les deux grandes puissances que sont l’Union européenne (UE) et la Fédération de Russie. Il n’est pas facile dans ces conditions pour un pays de 3,5 millions d’habitants, ayant pour seule richesse une terre agricole de grande qualité, de se construire une identité économique, culturelle et politique. Sur son territoire se côtoient des cultures et des langues très différentes. Le pays compte environ 65% de roumanophones, 14% d’Ukrainiens, 13% de Russes, 2% de Bulgares, 4% Gagaouzes (turcophones christianisés) et 3% de Roms.

  Ces chiffres datent de quelques années car les résultats du dernier recensement de 2015 n’ont pas encore été publiés. Personne n’est capable d’expliquer ce retard, d’où les nombreuses spéculations concernant la population totale et les pourcentages respectifs des minorités. Mais cette question n’est pas le problème le plus important de la «transition» moldave.

DES FORCES CENTRIFUGES À L’ŒUVRE 

  La Transnistrie, république sécessionniste à la frontière avec l’Ukraine, est une épine dans le pied du pays depuis son indépendance. À l’époque, certains mouvements politiques imaginaient différents scénarios dans l’euphorie du moment, parmi lesquels l’unification de la jeune Moldavie avec la Roumanie. Les roumanophones des deux États partagent la même langue, la même culture et ont constitué un seul pays entre 1918 et 1940. Ne voulant à aucun prix d’une telle union, les populations russoukrainiennes majoritaires en Transnistrie, bien que minoritaires dans l’ensemble de la Moldavie, ont proclamé leur propre independence.

  Rien de très étonnant, car la Transnistrie avait artificiellement été rattachée à la Moldavie par le pouvoir soviétique de la même manière que la Crimée à l’Ukraine. Région tampon entre la Moldavie et l’Ukraine, la Transnistrie est devenue une terre de trafics: cigarettes, armes et même êtres humains. Largement russophone, elle aspire à être rattachée à la Fédé- ration de Russie, ce que le dernier référendum organisé en 2006 a confirmé à une très large majorité. La Russie n’a toutefois pas donné suite à cette demande.

  Les Gagaouzes, minorité turcophone mais chrétienne, ont obtenu pour leur part une large autonomie dès 1994. Aujourd’hui, soutenue par plusieurs pays de la région, la Gagaouzie ré- clame davantage d’indépendance et se trouve souvent sur la même longueur d’onde politique que la Transnistrie. Autrement dit, la toute petite Moldavie (33 843 km2 ) est toujours confrontée à une crise territoriale et identitaire très profonde après vingt-cinq ans d’indépendance.

  Face à tant d’incertitudes, le pays s’est tourné vers l’UE, avec laquelle il partage des frontières communes depuis que la Roumanie en est devenue membre en 2007. Une grande partie de la population moldave s’est mise à espérer une nouvelle relation avec «l’Europe» et surtout à croire que les Européens les aideraient à combattre la corruption croissante. La coalition pro-européenne arrivée au pouvoir en 2009 incarnait l’espoir de sortir de cette transition vers nulle part.

  Le réveil a été brutal, malgré la signature en été 2014 d’un Accord d’association avec l’UE. Après cinq ans au pouvoir de différentes coalitions et alliances improbables et contre nature, le désenchantement de la population est en effet total. Force est de constater que la situation économique du pays s’aggrave, que les jeunes émigrent dès la fin de leurs études, que la terre est laissée en friche et qu’un nouveau partage du pays s’est produit entre quelques oligarques qui contrôlent l’économie, les institutions de l’État et les médias. Pire encore, en novembre 2015, «le casse du siècle» s’est produit avec la disparition d’un milliard d’euros de trois banques moldaves. Personne n’a rien vu... L’UE, qui a investi et soutenu les alliances des partis au pouvoir, n’ose pas ou ne veux pas critiquer leurs agissements, l’absence de réformes anti-corruption ou la manipulation du code électoral. Elle soutient toujours, envers et contre tout, les trois partis «pro-occidentaux» qui dirigent le pays depuis 2009.

  Trois mois après les élections législatives de novembre 2015, les trois partis pro-européens, le parti libéral, le parti démocrate et le parti libéral-démocrate, n’ayant pas réussi à former une nouvelle coalition, un passage en force a été organisé juste avant l’expiration du délai prévu par la loi. Tard dans la soirée du 2  fé- vrier 2016 et sans prévenir l’opposition, 58 des 101 députés du Parlement ont désigné en moins de sept minutes un nouveau premier ministre. Ce véritable coup d’État parlementaire s’est dé- roulé sans procès-verbal et dans une salle protégée par toutes les forces de police disponibles dans la capitale. La même nuit, le nouveau gouvernement à prêté serment dans la résidence du président, dans un quartier isolé de la capitale complètement bouclé par la police et dans une salle encore plus vide que celle du Parlement. Cette mascarade «de démocratie occidentale» n’a pas empêché l’UE de féliciter le nouveau gouvernement en lui promettant de l’aide. Il n’en a pas fallu plus pour que la cote de l’UE tombe en flèche et que le nombre de manifestants explose dans les rues de Chisinau, unissant, pour la première fois dans l’histoire du pays, «pro-européens» et «pro-russes» dans le rejet de ces machinations. Le froid de l’hiver et les difficultés économiques ont eu raison de ces manifestations légitimes qui ont toutefois permis la création d’un nouveau mouvement politique.

  Les Moldaves sont aujourd’hui peu nombreux à croire que l’UE a la volonté de lutter contre la corruption en Moldavie ou ailleurs, beaucoup ne pensent plus que le pays doive adhérer à l’UE et ils sont de plus en plus nombreux à ne plus avoir peur de «l’épouvantail d’une invasion de chars russes» que les pro-européens brandissent lors de chaque campagne électorale et qui sert aussi à obtenir davantage de financement de l’Union. Tout au long de son histoire mouvementée, la Moldavie a fait partie de différentes entités: des empires ottoman et tsariste, de la Roumanie et plus récemment de l’Union soviétique. Comme dans tous les pays de l’Europe de l’Est et des Balkans, son territoire a subi beaucoup de modifications et ses frontières ont souvent reculé. La Moldavie d’aujourd’hui ne compte plus qu’une partie du territoire appelé au XIXe siècle Bessarabie et qui faisait partie de l’empire tsariste.

  Au XXe siècle elle a perdu son accès à la mer au profit de l’Ukraine et elle s’est vu attribuer la Transnistrie. Le XXIe siècle venu, elle est complétement déstabilisée. Toutes ces raisons mais aussi le simple bon sens l’ont poussée à se déclarer pays neutre. Un expert local explique toutefois que les «anges gardiens» du pays ne l’entendent pas de cette oreille. La Moldavie est «invitée» à devenir membre de l’OTAN et certains se sont laissés convaincre que, tant qu’elle ne sera pas membre de cette alliance militaire, le chemin vers l’UE ne lui sera jamais ouvert...


MARGARETA DONOS-STROOT
Journaliste, correspondante au Palais des Nations
à Genève pour divers médias moldaves.

Article publié dans La Citéla, Juillet-Août 2016

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