Médias et migrations au menu des Assises de l’UPF en Arménie
Les 47e Assises internationales de la presse francophone se sont déroulées en Arménie, en marge du XVII sommet de la francophonie, du 9 au 12 octobre 2018. Plus de deux cents journalistes d’une cinquantaine de pays ont participé à Tsaghkadzor, station de montagne située à une centaine de kilomètres de la capitale Erevan, à quatre jours de débats sur un thème hautement d’actualité : « Médias et migrations ». La veille, le comité international de l’Union de la presse francophone (UPF) avait renouvelé son bureau, désormais composé du président Madiambal Diagne (Sénégal), de la secrétaire générale Zara Nazarian (Arménie), des vice-présidents Aimé-Robert Bihina (Cameroun), Jean Kouchner (France), Meriem Oudghiri (Maroc) et Jean-Claude Rodes (Guadeloupe), et de la trésorière Margareta Stroot (Moldavie).
Première surprise, lors de la séance d’ouverture de ces assises de la presse francophone, la représentante en Arménie du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés, qui est basé à Genève, a prononcé une allocution en anglais, se justifiant par le fait qu’elle travaillait pour une organisation internationale onusienne… D’aucuns n’ont pas manqué de lui faire remarquer qu’il y avait six langues officielles à l’ONU, dont deux langues de travail : le français et l’anglais.
Le thème des débats proprement dits a été introduit lors de l’exposé inaugural de Maria Bou Zeid, experte au Centre libanais de recherche sur l’émigration de l’Université Notre Dame du Liban. Précisant quelques points d’ordre terminologique, elle a souligné les différences entre migrants économiques, réfugiés fuyant un état de guerre ou des persécutions, demandeurs d’asile qui n’ont pas encore reçu le statut de réfugiés et enfin déboutés du droit d’asile. Elle a souligné combien il est crucial que les médias donnent des images objectives - ni positives ni négatives - des migrants, et elle a mis l’accent sur l’importance des mots utilisés, se disant notamment choquée par l’expression « trier les demandeurs d’asile » alors qu’il s’agit d’êtres humains. Face à la perception de menaces culturelles, sécuritaires et économique liées à la migration, il faut, a-t-elle insisté, un journalisme de qualité. Evoquant le cas du Liban, qui accueille un million et demi de Syriens et quelque 45 000 Palestiniens, elle a indiqué qu’il se trouvait confronté à une véritable asphyxie socio-économique et a relevé au passage que « la souveraineté nationale comprend le droit de décider qui entre ou pas dans un pays.». Il faut, a-t-elle conclu, « un équilibre entre droits de l’homme et souveraineté ». Revenant sur la question de la terminologie, l’oratrice a précisé qu’au Liban les Palestiniens sont qualifiés de « réfugiés » et les Syriens de « migrants », alors qu’en Jordanie ils sont considérés comme des « invités ». Comme elle indiquait que les médias libanais sont divisés sur la question, le modérateur, Jean Kouchner, a souligné qu’il en allait de même dans d’autres pays en raison de la dépendance économique des médias. « L’objectivité c’est l’exhaustivité », a–t-il ajouté, « mais les bons journalistes ont aussi des factures à payer à la fin du mois et doivent donc se soumettre au point de vue de leurs patrons… ».
La migration ? Ni contre ni contre…
Lors d’une table ronde sur « la place et la représentation des migrants dans les médias », le journaliste et sociologue grec Polydefkis Papadopoulos a notamment présenté un historique complet et édifiant des migrations récentes dans son pays, depuis les migrants économiques Albanais jusqu’aux Grecs de la Mer Noire de retour dans leur patrie historique, en passant pas les centaines de milliers de migrants arrivant de Turquie par la mer, dont un très grande nombre reste encore bloqué dans les iles de l’Egée ou en Grèce continentale. Il a souligné les risques engendrés par cette situation, qui entraîne notamment une exaspération croissante de nombreux Grecs déjà confronté à une crise économique largement imposée de l’extérieur, avec pour corollaire la montée du parti néonazi « Aube dorée », qui surfe sur ces problèmes. En guise de réponse, peut-être, le PDG de la radio française Beur FM, Nacer Keita, s’est borné à déclarer que « l’homme est chez lui partout ».
D’une manière générale, même si le thème de ces assises était le rôle des médias, les propos des intervenants, surtout des représentants d’ONG actives dans ce domaine, ont souvent pris la forme de plaidoyers en faveur de la migration. On a ainsi pu entendre répéter à de nombreuses reprises, de manière quasi incantatoire, qu’il « n’y a pas de crise de l’immigration », même si les opinions publiques des pays d’accueil ressentent manifestement le contraire… Paradoxalement, les quelques réserves exprimées sont essentiellement venues des journalistes africains présents dans la salle. Certains ont mis l’accent sur la perte de substance pour les pays de départ que constitue l’émigration des jeunes les mieux formés, contraints d’aller chercher du travail ailleurs, même si beaucoup d’émigrés contribuent par leurs envois de fonds à faire vivre leurs pays d’origine. D’autres ont souligné que l’émigration constituait une soupape de sécurité pour des dirigeants africains incapables d’assurer du travail à leurs populations. L’immigration est-elle par ailleurs « une chance » ou « une charge » pour les pays d’accueil ? Sans doute les deux à la fois, dans des proportions variées, comme l’ont fait ressortir les diverses interventions.
Vous avez dit la haine ?
Comme c’est souvent le cas lors de débats sur la migration, ses partisans ont dénoncé le racisme supposé et le « discours de haine » de ceux qui s’y opposent. En réponse à un participant qui lui demandait de donner un exemple de tels propos et s’il jugeait que le ministre italien Salvini se montrait haineux en disant que l’Italie avait accueilli assez de migrants et qu’elle n’en voulait pas davantage, le modérateur, Pierre Ganz, de l’observatoire de la déontologie des médias, a répondu que la haine était « implicite ». Serait-elle également implicite lorsque les partisans de Marine Le Pen, en France, scandent lors de meetings électoraux « On est chez nous ! » ? Ce slogan n’est certes guère hospitalier, mais est-il pour autant « haineux » ? Il est par ailleurs à relever que, dans le cadre d’une des tables rondes, un seul gouvernement a fait l’objet d’attaques réitérées et nominales, celui de la Hongrie, pays observateur de l’Organisation internationale de la francophonie, coupable de refuser de devenir un pays d’immigration illégale. Le plus choquant est que ces attaques en règle aient été proférées non pas par un journaliste hongrois mais par un Français établi à Budapest. Chacun a certes le droit de penser ce qu’il veut du gouvernement de Viktor Orban, mais cet acharnement sélectif était assez malvenu alors qu’au même moment les agents d’un autre pays qui aspire à devenir observateur de l’OIF, l’Arabie Saoudite, étaient en train de massacrer le journaliste Khashoggi à Ankara.
Après la table ronde initiale, les discussions se sont poursuivies dans le cadre de quatre ateliers intitulés respectivement : « Migrations, ce dont les médias parlent peu », « Migration 2.0 : entre information, manipulation et mobilisation », « Quels usage et quelle utilité des médias issus de l’immigration » et enfin « Médias et migrations : entre devoirs d’information et engagement militant ». Là encore, la discussion a souvent porté davantage sur le bien fondé ou non des migrations que sur leur couverture par les médias. Revenant sur la question de savoir si les migrants étaient une chance ou une charge pour les pays d’accueil et pour les pays d’origine, les interventions ont montré qu’elle était en réalité ambivalente. Une chance quand les pays du nord se procurent de la main d’oeuvre bon marché ou des médecins et techniciens formés à grands frais dans d’autres pays. Une charge lorsque des migrants restent pendant des années sans travail et donc à la charge de la collectivité, même dans des pays où le chômage est très bas, comme en Suisse. Quant aux pays d’origine, ils profitent certes de l’argent envoyé aux familles par les migrants mais se vident en même temps de leurs forces vives, ce qui est valable également pour les pays de l’est et du sud de l’Europe.
De l’Erythrée à l’Aquarius
S’agissant par exemple de l’Erythrée, d’où proviennent de très nombreux demandeurs d’asile en Suisse, la journaliste belge Colette Braeckman a rapporté ce qu’elle avait vu dans ce pays, présenté longtemps dans la presse comme une sorte d’enfer dont les ressortissants devaient absolument être accueillis car il fuyaient un service militaire de durée indéterminée dans le contexte d’une guerre avec l’Ethiopie. Outre que ces deux pays voisins viennent enfin de faire enfin la paix, il s’avère que ce service militaire est en réalité un service civil obligatoire dans le secteur public destiné à éviter la fuite de médecins et d’autres spécialistes dont le pays a cruellement besoin. D’autres intervenants ont décrit les difficultés rencontrées par les migrants subsahariens au Maroc, par exemple, ou encore la xénophobie qui se manifeste parfois au Liban, y compris dans les médias, contre des migrants pourtant arabophones et de religion musulmane venus de pays voisins. Tout cela pour dire que les journalistes doivent faire preuve de prudence et de discernement lorsqu’ils traitent des différents problèmes liés aux migrations, sans tenter d’imposer leur propre point de vue, quel qu’il soit, à des lecteurs ou auditeurs qui ont souvent un avis différent. Le cas de l’Aquarius est à cet égard révélateur. Lorsqu’un journaliste français a proposé que les Assises adoptent une résolution exigeant qu’un pavillon soit accordé à ce bateau transporteur de migrants, la journaliste Romaine Jean a indiqué qu’une pétition dans ce sens circulait en Suisse et avait déjà recueilli des dizaines de milliers de signatures. Ce qui est exact, sauf qu’au même moment un sondage en ligne sur le site de la Tribune de Genève montrait que plus de 67 % de ceux qui avaient répondu étaient opposés à cette idée. Que ce soit à propos des migrants ou sur d’autres sujets, le décalage croissant entre les médias dominants et la majorité de population semble décidément constituer un problème qu’il pourrait être dangereux de continuer à ignorer… Le thème des 48e Assises de la presse francophone n’est pas encore fixé, mais on sait d’ores et déjà qu’elles auront lieu au Cameroun en 2019.
Philippe Stroot